Un ouvrier de Foxconn, Xu Lizhi (许立志), s'est suicidé le 30 septembre dernier à 24 ans.
C'est avec émotion que nous vous traduisons ses poèmes mis en ligne par Libcom (ici, en anglais).
“Sur mon lit de mort”
Je veux regarder encore l'océan, contempler l'ampleur des larmes de la moitié d'une vie.
Je veux escalader une autre montagne, essayer de rappeler l'âme que j'ai perdue
Je veux toucher le ciel, sentir la bleuté si légère
Mais je ne peux rien en faire, je quitte ce monde
Nul parmi ceux qui me connaissent
Ne devrait s'étonner de mon départ,
Moins encore soupirer ou avoir du chagrin
J'étais bien quand je suis arrivé et je suis bien quand je pars.
"Conflit"
Ils disent tous
Que je suis un enfant de peu de mots
Je ne le conteste pas
Mais, en fait
Que je parle ou non
Je suis silencieux dans cette société
"Je me suis endormi debout"
Le papier devant mes yeux jaunit
Avec un stylo en métal je grave sur son dos inégal,
Plein de mots du travail
Atelier, ligne d'assemblage, machine, carte de travail, heures supplémentaires, salaires ...
On m'a appris à être docile
'Sais plus comment crier ou me révolter
Comment me plaindre ou dénoncer
Seulement comment souffrir d'épuisement en silence
Quand j'ai mis le pied dans cet endroit pour la première fois
J'attendais seulement le bordereau de paiement du dix du mois
Pour m'accorder un réconfort tardif
Pour cela, je devais arrondir mes angles, arrondir mes mots
Refuser d'échapper au travail, refuser de me porter malade, refuser de m'absenter pour des raisons personnelles
Refuser d'être en retard, refuser de partir avant l'heure
J'étais debout sur la ligne d'assemblage comme du fer, les mains comme des mouches,
Combien de jours, combien de nuits
Me suis-je endormi debout?

"Un boulon est tombé par terre"
Un boulon est tombé par terre
En cette nuit d'heures supplémentaires
En plongeant à la verticale, il a résonné légèrement
Cela n'attire l'attention de personne
Exactement comme la dernière fois
Lors d'une nuit comme celle-ci
Quand quelqu'un a plongé vers le sol.
"Comme une prophétie"
Les vieux du village disaient
Que je ressemblais à mon grand-père jeune
Je ne l'admettais pas
Mais en les entendant encore et toujours
Je fus convaincu
Mon grand-père et moi partageons
Des expressions du visage
Un caractère, des passe-temps,
Presque comme si nous venions du même ventre
Ils le surnommaient "perche de bambou"
Ils me surnomment "porte-manteau"
Il cachait souvent ses sentiments
Je suis souvent obséquieux
Il aimait résoudre des énigmes
J'aime les prémonitions
À l'automne 1943, les diables japonais nous ont envahis
et ont brûlé mon grand-père vivant
à 23 ans.
Cette année, je fête mes 23 ans.
"Le dernier cimetière"

Même la machine s'assoupit
Les ateliers scellés recèlent du fer malade"Le voyage de ma vie est encore loin d'être complet"
Les salaires dissimulés derrière les rideaux
Comme l'amour que les jeunes ouvriers portent en bas de leurs cœurs
Sans temps pour l'expression, l'émotion tombe en poussière
Ils ont des estomacs forgés dans le fer
Pleins d'acides épais, sulfurique et nitrique
L'industrie capture leurs larmes avant qu'elles ne risquent de tomber
Le temps s'écoule, leurs têtes perdues dans le brouillard
Leur production accable leur âge, la peine fait des heures supplémentaire le jour et la nuit
Dans leurs vies, les vertiges sont latents avant leur heure
La sauteuse fait peler la peau
Et alors qu'ils sont à l’œuvre, les plaques d'une couche d'alliage d'aluminium
Certains résistent encore alors que d'autres sont emportés par la maladie
Je m'assoupis parmi eux en gardant
Le dernier cimetière de notre jeunesse.
C'est quelque chose que personne n'attendait
Le voyage de ma vie
Est loin d'être terminé
Mais il est au point mort à mi-chemin
Ce n'est pas comme si des difficultés de ce genre
N'avaient pas existé auparavant
Mais elles n'ont pas surgi
Aussi subitement
Aussi férocement
Lutte répétée
Mais tout est futile
Je veux me lever plus que n'importe qui
Mais mes jambes ne coopèrent pas
Mon estomac ne coopère pas
Aucun os de mon corps ne coopère
Je ne peux que me coucher à plat
Dans cette obscurité et envoyer
Un signal silencieux de détresse, encore et encore,
Juste pour entendre, encore et encore
L'écho du désespoir.
"J'ai avalé une lune en fer"

J'ai avalé une lune en fer
Ils l'appellent clou
J'ai avalé cet égout industriel, ces documents de chômage
La jeunesse voûtée sur les machine meurt avant son temps
J'ai avalé la hâte et le dénuement
Avalé les ponts pour piétons, la vie couverte de rouille
Je ne peux plus rien avaler
Tout ce que j'ai avalé sort maintenant de ma gorge
Déferle sur la terre de mes ancêtres
Dans un poème honteux.
"Chambre louée"
Un espace de dix mètres carrés
Exigu et humide, jamais de lumière naturelle
C'est ici que je mange, que je dors, que je chie et que je pense
Que je tousse, que j'attrape mal à la tête, que je vieillis, que je tombe malade et que j'échoue à mourir
Sous la sombre lampe jaune, dans ma pâleur, je baye aux corneilles, en ricanant comme un idiot
Je me balance d'avant en arrière en chantant doucement, en lisant, en écrivant des poèmes
Chaque fois que j'ouvre la fenêtre ou la porte en osier
J'ai l'air d'un homme mort
Qui ouvre doucement le couvercle d'un cercueil.






