1 déc. 2014

Un ouvrier raconte

In memoriam

xu lizhi
Un ouvrier de Foxconn, Xu Lizhi (许立志), s'est suicidé le 30 septembre dernier à 24 ans.

C'est avec émotion que nous vous traduisons ses poèmes mis en ligne par Libcom (ici, en anglais).



  “Sur mon lit de mort”
Je veux regarder encore l'océan, contempler l'ampleur des larmes de la moitié d'une vie.
Je veux escalader une autre montagne, essayer de rappeler l'âme que j'ai perdue

Je veux toucher le ciel, sentir la bleuté si légère
Mais je ne peux rien en faire, je quitte ce monde
Nul parmi ceux qui me connaissent

Ne devrait s'étonner de mon départ,

Moins encore soupirer ou avoir du chagrin


J'étais bien quand je suis arrivé et je suis bien quand je pars.
  

 "Conflit"

Ils disent tous

Que je suis un enfant de peu de mots


Je ne le conteste pas


Mais, en fait


Que je parle ou non


Je suis silencieux dans cette société



 "Je me suis endormi debout"

Le papier devant mes yeux jaunit

Avec un stylo en métal je grave sur son dos inégal,


Plein de mots du travail


Atelier, ligne d'assemblage, machine, carte de travail, heures supplémentaires, salaires ...


On m'a appris à être docile

'Sais plus comment crier ou me révolter


Comment me plaindre ou dénoncer


Seulement comment souffrir d'épuisement en silence


Quand j'ai mis le pied dans cet endroit pour la première fois


J'attendais seulement le bordereau de paiement du dix du mois


Pour m'accorder un réconfort tardif


Pour cela, je devais arrondir mes angles, arrondir mes mots


Refuser d'échapper au travail, refuser de me porter malade, refuser de m'absenter pour des raisons personnelles

Refuser d'être en retard, refuser de partir avant l'heure


J'étais debout sur la ligne d'assemblage comme du fer, les mains comme des mouches,

Combien de jours, combien de nuits


Me suis-je endormi debout?

"Un boulon est tombé par terre"

Un boulon est tombé par terre


En cette nuit d'heures supplémentaires


En plongeant à la verticale, il a résonné légèrement


Cela n'attire l'attention de personne

Exactement comme la dernière fois
Lors d'une nuit comme celle-ci
Quand quelqu'un a plongé vers le sol.


"Comme une prophétie"

Les vieux du village disaient


Que je ressemblais à mon grand-père jeune


Je ne l'admettais pas


Mais en les entendant encore et toujours


Je fus convaincu


Mon grand-père et moi partageons


Des expressions du visage


Un caractère, des passe-temps,


Presque comme si nous venions du même ventre


Ils le surnommaient "perche de bambou"


Ils me surnomment "porte-manteau"


Il cachait souvent ses sentiments


Je suis souvent obséquieux


Il aimait résoudre des énigmes


J'aime les prémonitions


À l'automne 1943, les diables japonais nous ont envahis


et ont brûlé mon grand-père vivant

à 23 ans.


Cette année, je fête mes 23 ans.



"Le dernier cimetière"


Même la machine s'assoupit
Les ateliers scellés recèlent du fer malade

Les salaires dissimulés derrière les rideaux


Comme l'amour que les jeunes ouvriers portent en bas de leurs cœurs 


Sans temps pour l'expression, l'émotion tombe en poussière


Ils ont des estomacs forgés dans le fer


Pleins d'acides épais, sulfurique et nitrique

L'industrie capture leurs larmes avant qu'elles ne risquent de tomber

Le temps s'écoule, leurs têtes perdues dans le brouillard


Leur production accable leur âge, la peine fait des heures supplémentaire le jour et la nuit


Dans leurs vies, les vertiges sont latents avant leur heure


La sauteuse fait peler la peau


Et alors qu'ils sont à l’œuvre, les plaques d'une couche d'alliage d'aluminium


Certains résistent encore alors que d'autres sont emportés par la maladie


Je m'assoupis parmi eux en gardant 


Le dernier cimetière de notre jeunesse.
"Le voyage de ma vie est encore loin d'être complet"

C'est quelque chose que personne n'attendait
Le voyage de ma vie

Est loin d'être terminé


Mais il est au point mort à mi-chemin


Ce n'est pas comme si des difficultés de ce genre

N'avaient pas existé auparavant


Mais elles n'ont pas surgi

Aussi subitement

Aussi férocement
Lutte répétée
Mais tout est futile

Je veux me lever plus que n'importe qui
Mais mes jambes ne coopèrent pas
Mon estomac ne coopère pas
Aucun os de mon corps ne coopère

Je ne peux que me coucher à plat
Dans cette obscurité et envoyer
Un signal silencieux de détresse, encore et encore,
Juste pour entendre, encore et encore
L'écho du désespoir.


"J'ai avalé une lune en fer"


J'ai avalé une lune en fer
Ils l'appellent clou

J'ai avalé cet égout industriel, ces documents de chômage


La jeunesse voûtée sur les machine meurt avant son temps

J'ai avalé la hâte et le dénuement


Avalé les ponts pour piétons, la vie couverte de rouille

Je ne peux plus rien avaler


Tout ce que j'ai avalé sort maintenant de ma gorge
Déferle sur la terre de mes ancêtres
Dans un poème honteux.


"Chambre louée"

Un espace de dix mètres carrés  

Exigu et humide, jamais de lumière naturelle
C'est ici que je mange, que je dors, que je chie et que je pense
Que je tousse, que j'attrape mal à la tête, que je vieillis, que je tombe malade et que j'échoue à mourir

Sous la sombre lampe jaune, dans ma pâleur, je baye  aux corneilles, en ricanant comme un idiot


Je me balance d'avant en arrière en chantant doucement, en lisant, en écrivant des poèmes
 

Chaque fois que j'ouvre la fenêtre ou la porte en osier
 
J'ai l'air d'un homme mort
Qui ouvre doucement le couvercle d'un cercueil.