Extrait
Depuis janvier 2014, la police et l’armée ont reçu le feu vert pour mater les mobilisations par la force grâce la promulgation d’une loi spéciale. Aucun policier ni militaire ne pourra être jugé s’il blesse ou tue une personne. Ce qui renforce ainsi la culture de la violence d’État. Cette modification du code pénal a suscité l’inquiétude de l’opinion publique ainsi que de la Defensoria del Pueblo, l’institution étatique chargée de la protection et de la défense des droits humains). Au niveau international, l’Onu s’est prononcé pour son annulation car les possibles conséquences sont dramatiques.
Dans un contexte où les conflits sociaux ne cessent de se multiplier, ce « permis de tuer » ouvre la porte à une répression policière et militaire sans recours. Les bavures et l’impunité des forces de l’ordre pourraient prendre une ampleur considérable puisque les conflits sociaux-environnementaux sont extrêmement nombreux dans le pays. Rien qu’au premier semestre 2014, 211 conflits ont été répertoriés par le 14ème rapport de l’Observatoire des conflits miniers au Pérou. Bien qu’en baisse par rapport aux années précédentes, ce nombre reste élevé. Et les craintes sont fortes quant à la réactivation de nombre d’entre eux, notamment en raison de la récente approbation de mesures économiques plus que polémiques.
Un sous-sol exploité à tout va
Le 3 juillet 2014, le Congrès a adopté le "Paquetazo", une série de décrets visant à relancer l’économie. Car la croissance s’est ralentie : elle n’est plus que de 4% en 2014, alors qu’elle atteignait les 8 à 9% dans les années 2000. Les extraordinaires réserves du sous-sol péruvien, exploitées à tout va, n’y font rien. Le Pérou, classé parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d’argent, de cuivre, de zinc, d’étain, de plomb et d’or, subit l’actuelle baisse du prix des matières premières (lire notre interview). Puisque les prix chutent, il faut accroître les volumes, supprimer les freins à la croissance. Et permettre aux multinationales, parfois d’origine française, d’exploiter encore un peu plus les ressources de l’Amazonie (lire notre enquête).
Ces récents décrets réduisent l’importance des études environnementales. Ils limitent les capacités d’action de l’organisme en charge d’appliquer les sanctions environnementales (l’OEFA, Organismo de evaluación y fiscalización ambiental) ; et ils retirent au ministère de l’Environnement la compétence de créer de zones naturelles protégées pour la transférer au conseil des ministres, dominé par le ministère de l’Énergie et des mines. Ces mesures ont été portées par l’ex-ministre de l’économie, remplacé le 14 septembre dernier par Alonso Segura, un ancien directeur exécutif du FMI pour la région sud-américaine. Tout est un symbole !
Ces mesures vont à l’encontre des promesses électorales de « grande transformation » d’Ollanta Humala. Son élection, en juillet 2011, était basée sur un programme de soutien et d’amélioration de la qualité de vie des paysans et des communautés les plus vulnérables, situées dans les régions andines et amazoniennes, largement abandonnées par les politiques publiques, et souvent opprimées. Pour une partie des Péruviens, l’élection d’Humala représentait le changement espéré, après vingt ans de conflit armé suivis de deux gouvernements de droite favorisant les ajustements structurels et les politiques néolibérales d’ouverture aux investissements étrangers. L’arrivée au pouvoir d’Ollanta Humala n’a rien changé. Un exemple parmi tant d’autres des renoncements du président péruvien : celui de défendre les intérêts des paysans touchés par l’extension de la mine aurifère de Conga, dans le nord du Pays (lire notre reportage).
Vers l’exploitation des gaz de schiste ?
Pourtant, cette non-transformation était prévisible. A l’image d’autres pays latino-américains, où sont arrivés au pouvoir des gouvernements dits "progressistes", la priorité reste encore et toujours la croissance économique. Les désormais classiques accords de libre-échange continuent à être signés, avec les États-Unis et l’Union européenne. Leur principe : limiter les barrières douanières afin d’accentuer les échanges commerciaux avec le Pérou.
« À terme, les exportateurs de produits industriels ou de la pêche seront exonérés du paiement de tarifs douaniers et les marchés des produits agricoles seront considérablement ouverts, explique la Commission européenne. À la fin de la période de transition, les exportateurs de ces secteurs auront ainsi économisé plus de 500 millions d’euros, rien qu’en droits de douane. » Si les échanges commerciaux s’accroissent, il y a fort à parier que la libéralisation de ces secteurs ne contribuera pas à réduire les inégalités sociales et économiques au Pérou. Mais les intérêts de l’Union européenne, eux, seront bien garantis.
Plus largement, le Pérou continue de soutenir sans réserve les projets destructeurs, via son Ministère de l’énergie et des mines. En mars 2014, il demandait la suppression des études d’impact environnemental pour les exploitations d’hydrocarbures. Plus récemment encore, il a annoncé une future exploitation des gaz de schiste via la fracturation hydraulique.