28 nov. 2014

Chronique de l'esclavage européen

L'Humanité nous partage le témoignage d'un travailleur grec sous-traitant en France puis en Allemagne (ici, en français).

Il en aura fallu des justifications pseudo-anthropologiques, des prêtres des marchés aux heures de grande écoute, des lois, des institutions, des réunions de groupes de pression pour en arriver là. Les droits de l'homme, les droits de la femme s'arrêtent là où commence l'emploi.

Extrait

Dès le lendemain 7 heures, il embauche. Toujours pas de contrat, juste un papier écrit en français et en allemand pour récupérer un badge d’accès. Ce badge que Léonidas montre en permanence, unique preuve de son passage au chantier. Les journées sont longues, dix heures, avec une heure de pause. Les semaines aussi. Du lundi au samedi midi. Son job : réaliser le sablage, le décapage au premier étage du paquebot Poesia. Un boulot dur, surtout en plein hiver. Puis vient la première paie : 1 300 euros en liquide « posés sur la table du déjeuner ». « J’ai réclamé mon argent, mon contrat. Sans contrat, je ne pouvais pas ouvrir de compte en banque et envoyer l’argent à ma femme », explique Léonidas. Réponse des responsables d’Elbe : « Donne une enveloppe et on glissera 700 euros pour ta femme. » « Tous les mois c’était comme ça, on recevait des acomptes, on signait sur un cahier et on nous promettait le reste pour la prochaine paie. » Insupportable, « d’autant que ma femme se posait des questions, poursuit Léonidas. Il fallait lui expliquer que je n’allais pas claquer l’argent au casino. » Au bout de quatre mois, les chefs augmentent les charges de travail le samedi. Léonidas, mais aussi Nikos et Boris, un autre de ses collègues, refusent. Ils sont virés sur-le-champ. Le soir même, ils reçoivent la visite du « patron », qui leur demande de partir. Léonidas et ses amis refusent et exigent « (leur) contrat de travail, (leur) lettre de licenciement et l’argent dû ». Trois jours plus tard, la police, appelée par le patron d’Elbe, leur demande de quitter l’hôtel. C’est alors qu’ils appellent à l’aide. Elle viendra de la CGT. Indiens, Polonais, Grecs… La sous-traitance, souvent de second rang, du chantier naval n’en est pas à son coup d’essai en matière de non-paiement de salaires ou d’absence de fiches de paie. Très vite, une solidarité se noue. Pendant deux mois, la CGT multiplie les procédures, signale le cas des trois salariés à l’inspection du travail, à la sous-préfecture et à AkerYard, propriétaire à l’époque du chantier, devenu depuis STX. Rien ne se passe. Chez Elbe, les intimidations montent d’un cran. « Ils m’ont menacé de me brûler si je ne retournais pas en Grèce. J’ai porté plainte », explique Léonidas. Classée sans suite, car on n’a pas trouvé la société qui a vite été liquidée, précisent les membres du comité de soutien. « Puis ils ont fait pression sur ma femme, qui, à la fin, me suppliait de rentrer… » Elle finira par le quitter. Sombrant dans le désespoir, Léonidas décide de se mettre en grève de la faim : « On l’était déjà, vu que nous n’avions plus de quoi nous payer à manger… » Ses deux compagnons de lutte font de même. Dix-neuf jours pendant lesquels une centaine de personnes se relayent, veillent sur leur santé et leur sécurité. « Je n’étais pas syndicaliste avant et je ne le suis toujours pas, mais ces hommes m’ont sauvé la vie. Ils nous ont motivés pour rester et insister. »

C’est encore pire de l’autre côté du Rhin

La veille de l’inauguration du paquebot Poesia, le 1er avril 2008, un représentant d’AkerYard vient avec un huissier déposer une enveloppe de 7 300 euros et un billet d’avion à « des fins humanitaires ». La grève de la faim s’arrête mais le véritable combat commence pour Léonidas. Il part en Allemagne un peu par défi, son ancien patron lui ayant assuré qu’il « n’y serait jamais le bienvenu ». De l’autre côté du Rhin, il subira des conditions de travail pires encore. Selon lui, la directive européenne sur les salariés détachés n’a absolument rien changé.