Le blogue Dormirajamais (
ici, en français) traduit un article de Il Manifesto (
ici, en italien) sur les conditions de travail des immigrés sikhs dans la péninsule. Ils doivent se procurer de la drogue pour tenir le coup. Extrait d'un reportage qui a interpellé jusqu'au parlement.
Nous sommes au cœur de l’Union européenne, dans les anciens
Marais pontins, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Rome.
Là-bas, des amphétamines et de l’opium sont vendus aux
travailleurs-esclaves sikhs pour leur faire supporter fatigue et
douleurs. Ce reportage fait suite à un dossier accablant paru dans In migrazione.
La pilule qui aide à supporter la fatigue coûte à peine
dix euros, au marché noir de l’esclavagisme pontin. Singh a deux
possibilités: faire fondre directement le contenu dans la bouche ou le
mélanger au chai, le thé des sikhs. Il choisit la seconde solution parce
que «si je la mange ça fait plus mal, à l’estomac et à la gorge».
Ainsi, de bon matin, «la substance», comme l’appellent les Indiens de
Bellafarnia, efface la fatigue et les douleurs de la veille et prépare
la lutte quotidienne de celui qui va commencer « dopé comme un cheval »,
me dit Marco Omizzolo, un jeune sociologue auteur d’un dossier avec
l’association In migrazione, qui est un J’accuse à l’encontre des petits patrons et des caporaux du sud du Latium.
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Indiens sikhs au travail dans les champs des Marais pontins © Andrea Sabbadini |
Singh n’est pas un prénom: les sikhs religieux portent
tous ce même nom de famille, qui veut dire «lion», tandis que les femmes
se font appeler Kaur, «princesse». Quoi qu’il en soit, les nombreux
Singh des Marais Pontins travaillent presque tous dans les campagnes des
environs, pour les cultures maraîchères intensives, sous le soleil ou
dans des serres brûlantes qui se transforment en chambres à gaz quand on
les oblige à répandre des agents chimiques sans aucune protection.
Soumis aux vexations et aux abus de pouvoir, exploités au-delà du
vraisemblable, contraints à appeler «patron» leurs employeurs, sous
payés, ils courent le risque de se faire voler leur salaire misérable
quand ils rentrent chez eux à bicyclette. Comment faire face à tout
cela? B. Singh raconte dans un italien laborieux: «Je travaille de 12 à
15 heures par jour à la récolte des courgettes et des pastèques ou avec
le tracteur pour planter d’autres fruits et légumes. Tous les jours,
samedi et dimanche compris. Je ne crois pas que ce soit juste: trop de
fatigue et peu d’argent. Pourquoi les Italiens ne travaillent pas de la
même manière? Au bout de quelques temps j’ai commencé à avoir mal au
dos, aux mains, au cou, aux yeux aussi à cause de la terre, de la sueur,
des substances chimiques. Je tousse toujours. Le patron est gentil mais
il paie peu et il veut que tu travailles tout le temps, même le
dimanche. Après six ou sept ans à vivre comme ça, je n’en peux plus.
C’est pourquoi je prends une petite substance pour ne pas ressentir la
douleur, une ou deux fois pendant les pauses au travail. Je la prends
pour ne pas ressentir la fatigue, sinon je ne pourrais pas travailler
autant à la campagne. Tu comprends? Je travaille trop, trop de douleurs
aux mains.»