18 mai 2014

Kit efficace pour monter un mouvement de travailleurs

Terrainsdelutte nous donne la recette néo-zélandaise pour créer à partir de rien une mobilisation payante dans le secteur le plus indigeste qui soit, la restauration rapide (ici, en français). Un travail patient, des campagnes et, in fine, une attention à maintenir les réseaux sociaux créés. Une source d'inspiration pour les États-Unis et demain, qui sait, pour l'Europe.

Extraits

 C’est une chose de se médiatiser avec une action spectaculaire. C’en est une autre de construire une organisation solide de travailleurs dans un secteur de services hostile et réputé pour ses faibles salaires. Mais en Nouvelle-Zélande, un petit syndicat courageux nous offre un exemple de ce à quoi peut ressembler un syndicat durable dans les fast-foods.
Le syndicat autonome Unite a lancé en 2005 une campagne « Des salaires maxi best-of » (« Super-Size My Pay »). Avec maintenant plus de 4 000 membres à KFC, Pizza Hut, McDonald, Starbucks et Wendy’s, ce syndicat représente l’un des efforts d’organisation des travailleurs de fast-food les plus réussis au monde.

Unite a développé un modèle de syndicalisation qui a tiré profit de deux éléments du droit du travail néo-zélandais : comme en Europe, les employeurs sont légalement obligés de négocier avec un syndicat même s’il ne représente qu’une poignée de salariés. De plus, en 2003, le gouvernement travailliste a voté une loi obligeant les employeurs à autoriser les représentants syndicaux à entrer dans les commerces non-syndiqués afin de rencontrer les salariés.
La stratégie de Unite ? Entrer dans les fast-foods, faire quitter leurs postes aux travailleurs un par un pour de courtes réunions, et leur faire un topo  pour qu’ils adhèrent au syndicat.
Après avoir tenté cette approche avec succès dans une chaîne de cinéma locale, Unite a lancé une campagne à Auckland, la plus grande ville de Nouvelle-Zélande. La première cible fut Restaurant Brands, franchise qui gère KFC, Pizza Hut et Starbucks en Nouvelle-Zélande. Plus tard, la campagne s’étendit à McDonald’s, Wendy’s et Burger King.
Les syndicalistes parlèrent aux travailleurs de quelques revendications basiques : l’augmentation du salaire minimum de 9,50$NZ par heure à 12$ (de 5,7€ à 7,5€) ; l’abolition des « taux jeunes » (un grade de salaire 20% en dessous du salaire minimum autorisé par la loi) ; et des horaires « stables ».

(...)

Avec cette base de soutien, Unite passa à la deuxième phase de la campagne : des grèves éclairs pour obliger Restaurant Brands à signer un accord collectif acceptant les revendications de la campagne « Des salaires maxi best-of ».
Dans la loi néo-zélandaise, un accord collectif définit les salaires et les conditions de travail pour les seuls travailleurs syndiqués. La plupart des employeurs étendent ensuite les avancées aux non-syndiqués, afin de dévaluer le syndicat.
La première cible fut Starbucks. Un jour, en novembre 2005, après une période de préparation avec les travailleurs, les syndicalistes de Unite allèrent de café en café dans un bus du syndicat, appelant les « Baristas » à sortir faire grève et à converger vers le Starbucks le plus syndiqué d’Auckland. Environ 30 salariés de Starbucks venant d’une douzaine de cafés participèrent.
Ce fut le coup d’envoi d’une vague de grèves similaires dans les autres chaînes au cours des quelques mois suivants. Des centaines de travailleurs participèrent à ces grèves éclairs. Une campagne de « phone zaps » – des centaines de sympathisants du syndicat qui harcèlent de coups de fils d’une entreprise –  saturèrent le centre d’appel de Pizza Hut, interrompant ainsi les livraisons de la chaine.
(...)

Depuis 2005, plus de 30 000 travailleurs ont été adhérents de Unite, en grande partie à cause du fort turnover dans les fast-foods et dans d’autres secteurs précaires où Unite s’est aussi développé. Nombreux sont les anciens adhérents qui ont rejoint des syndicats dans leurs nouveaux emplois. En syndiquant une main-d’œuvre principalement jeune, Unite a ouvert une porte vers le mouvement ouvrier pour toute une génération de travailleurs.
Par ailleurs, et c’est tout aussi important, Unite a travaillé à étendre ses victoires au-delà des entreprises ayant une présence syndicale, et a transformé ses revendications envers des employeurs individuels en une campagne de masse pour un meilleur salaire pour tous les travailleurs. En 2009-2010, en l’espace de 7 mois, les militants de Unite ont rassemblé plus de 200 000 signatures pour soutenir un référendum national pour un salaire horaire minimum de 15$NZ. Ils n’ont pas réussi à obtenir les 300 000 signatures requises, mais ils sont parvenus à pousser les partis d’opposition à soutenir la revendication.
Le débat national suscité par la campagne « Super-Size My Pay » a forcé le parti travailliste et d’autres forces d’opposition à prendre acte de la lutte des travailleurs ou à se taire. En 2008, le gouvernement travailliste a fini par soumettre au vote l’abolition des taux jeunes.
Cependant le gouvernement de droite actuel prévoit de signer une nouvelle loi le 1er avril 2013 qui ramènerait les taux jeunes sous la barre du salaire minimum. Si cela se produit, les adhérents de Unite seront protégés par leurs contrats.
Mais maintenir des syndicats dans les établissements est une bataille acharnée. Les 9 syndicalistes de Unite en charge de la syndicalisation dans ce secteur font des tournées dans les établissements toutes les semaines, faisant quitter leur poste aux travailleurs pour leur faire un topo à peu près de la même manière qu’ils l’avaient fait au début de la campagne. L’adhésion tourne autour de 30% dans les chaînes, avec certains établissements plus syndiqués que d’autres.
L’implication à la base est faible, la plupart du travail syndical est effectué par les permanents. Unite a des difficultés à maintenir un réseau de délégués actifs dans les établissements. Afin d’augmenter l’adhésion et la participation, Unite a tenté plusieurs systèmes (des groupes Facebook, des comités de délégués locaux, des carnets de réduction pour les adhérents, et plus récemment une carte-cadeau de vacances et un excursion dans un parc d’attraction) mais le problème de la faible densité syndicale dans les chaines demeure.