26 févr. 2017

Une libéralisation liberticide

Camille Cuisset fait le point sur la transition démocratique en Birmanie dans le magazine en ligne Reporterre.

Si les libertés civiles ne se portent pas trop mal, les libertés économiques, le droit de disposer de ressources, par contre, sont en chute libre.

Extrait de l'article disponible ici
Dans l’État shan, dans le nord de la Birmanie, se trouve la seule centrale thermique alimentée au charbon du pays : Tigyit. Elle se situe à côté de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert de Birmanie. Pour l’installer, les militaires ont confisqué des terres et délogé deux villages. Son exploitation, par une entreprise chinoise et deux entreprises birmanes, a débuté en 2005. Elle est à l’arrêt depuis 2015, à la suite d’une forte mobilisation des habitants. Bilan ? Montagnes détruites, explosions dues aux activités extractives qui ont démoli des pagodes, forte pollution de l’eau et de l’air entraînant des problèmes sanitaires (des éruptions cutanées, des déficiences respiratoires…) et la contamination de la production agricole, dont vit 70 % de la population en Birmanie.
Pourtant, l’entreprise chinoise Wuxi Huagaung a signé un accord d’investissement pour cette centrale. Il y a quelques mois, le gouvernement a autorisé des essais de fonctionnement afin de la remettre en route. En guise de justification, il a affirmé chercher à répondre aux besoins en électricité — 70 % de la population birmane n’a pas le courant. En réalité, la centrale devrait alimenter une usine de fer forgé : le projet Pinpet, une coentreprise russe, italienne et birmane située à soixante kilomètres de Tigyit, en pleine zone en conflit. Alors, de nouveau, les réseaux locaux s’activent et lancent des campagnes pour l’arrêt définitif de la centrale. Syndicats paysans, organisations de défense des droits des femmes et groupes de jeunes se mobilisent pour défendre leurs modes de vie et leur environnement. Ils dénoncent une étude d’impact environnemental opaque et sans réelle consultation des populations.

Réserves de gaz et de pétrole, métaux et minerais, pierres précieuses et forêts luxuriantes 

La centrale de Tigyit n’est pas un cas isolé. Le gouvernement de Thein Sein, héritier de la junte militaire et président de 2011 à 2015, a signé au moins onze contrats de centrales thermiques à charbon avec des entreprises régionales et internationales. Ces projets n’ont pas encore vu le jour en raison d’une forte opposition de la population, mais ils témoignent d’une période charnière pour la Birmanie. L’autodissolution de la junte militaire, suivie de l’élection d’un gouvernement civil en 2011, a marqué la fin de cinquante ans de dictature. Sous la junte, l’économie, isolée et stagnante, favorisait les investissements nationaux (surtout les conglomérats militaires) et ceux des pays voisins. Paradoxalement, cette situation a participé à protéger de la surexploitation les importantes ressources naturelles du pays : réserves de gaz et de pétrole, métaux et minerais, pierres précieuses et forêts luxuriantes.
Les élections libres de 2015 et l’écrasante victoire de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti historique de l’opposition, ont permis une transition démocratique. Même si les militaires gardent la mainmise sur les affaires politiques et économiques du pays, cette ouverture politique et économique, ainsi que la levée des sanctions économiques européennes et états-uniennes, ont suscité l’intérêt des investisseurs étrangers. Le pays est devenu « fréquentable », il est désormais perçu comme un « eldorado » : il faut investir !