26 févr. 2017

Des droits au rabais

Dans Bastamag, Laurent Morel enquête sur les conditions de travail dans l'enseigne discount Primark. On connaît le calvaire des producteurs, des productrices bangladeshis, mais on connaît moins celui des travailleurs et des travailleuses ici, en France.

Le recours à des formes de tortures psychiques plus ou moins grossières y est monnaie courante.

Extrait de l'article disponible ici
À chaque ouverture d’un magasin de la marque irlandaise, l’histoire se répète : une file d’attente interminable et des clients qui repartent les bras chargés de grands sacs en kraft brun recyclé, frappé du logo turquoise Primark. L’enseigne a de quoi séduire le grand public : des prix cassés toute l’année (en moyenne de 4 à 6 euros par article), un large choix de produits allant du prêt-à-porter à l’accessoire en passant par la chaussure et la literie, ou encore des emplacements premium en centre commerciaux. 

Des prix tellement bas qu’ils ont poussé le député belge (socialiste) au Parlement européen Marc Tarabella à poser l’année dernière une question écrite à la Commission Européenne, afin que cette dernière enquête « sur les pratiques de la marque ». Une démarche jamais entreprise. « J’ai fait cette demande car les prix pratiqués par cette enseigne défient toute concurrence, d’où mon interrogation. Surtout lorsque l’on connaît les problèmes de conditions de travail dans certains pays d’Asie. Malheureusement, la Commission Européenne ne réalise que trop peu rarement d’enquête » nous explique-t-il.

Dans les pays producteurs, salaires de misère et catastrophes

D’après les témoignages que nous avons récoltés, l’envers du décor Primark fait en effet peu rêver. Tout commence en amont, dans les usines de confection d’Asie du sud-est notamment, au Bangladesh ou au Cambodge par exemple, où les salariés perçoivent entre 50 et 100 euros par mois seulement ! En attendant peut-être de voir l’entreprise investir prochainement l’Éthiopie, qui se démarque aussi par ses coûts de main d’œuvre excessivement faibles.

Les conditions d’emplois exécrables de ces grandes marques textiles ont été exposées aux yeux du monde entier lors de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait provoqué la mort de 1138 ouvriers en avril 2013. Primark, qui faisait partie des clients de l’usine, se défend en affirmant avoir versé des compensations aux familles des victimes. Mais le mal est fait et la politique de fabrication n’a pas fondamentalement évolué. Car pour mettre en vente un jeans à neuf euros, au moins un acteur de la chaîne n’y trouve pas son compte. Et dans le cas de Primark, ils sont nombreux à ne pas s’y retrouver (voir notre dossier sur l’industrie textile).

Dans les boutiques : « Nos droits sont mis de côté, comme si l’on était au Bangladesh… »

En France également, les conditions de travail sont difficiles. Rupture abusive des contrats lors des périodes d’essais, arrêts maladie non payés, ambiance de travail stressante… les retours d’expériences de salariés laissent peu de place au doute. « Vous êtes épiés et surveillés comme le lait sur le feu en permanence, relate ainsi Aymeric, ex-salarié à Lyon. Les chefs ne se gênent pas pour mal vous parler et vous rabaisser devant les clients. J’y ai eu le droit plus d’une fois. C’est humiliant. » Une situation que connaît bien Anna, du Primark de Dijon. « Mes supérieurs se moquent de moi à cause de mon accent car je ne suis pas française, ils s’amusent même à m’imiter. Cela fait maintenant trois ans que ça dure alors que je leur ai dit plusieurs fois d’arrêter », se désole-t-elle.

Pour Estelle, qui a finalement remis sa démission au mois de mars 2016 après huit mois passés dans le magasin de Lyon, Primark constitue la « pire expérience professionnelle » de sa vie. « Aujourd’hui encore, j’ai des problèmes de sommeil hérités de mon expérience chez Primark. Vous êtes constamment mis sous pression par les managers pour que le magasin soit bien rangé. Lorsque je leur ai finalement dit que je commençais à prendre des antidépresseurs, la superviseuse m’a ri au nez ! » Dégoûtée, Estelle a même décidé qu’elle ne travaillerait plus dans le commerce. Cathy, employée à Créteil, a de son côté l’impression « d’avoir vieilli de dix ans après deux années passées chez Primark. Les jeunes, particulièrement, ont beaucoup de mal à supporter le rythme très soutenu de travail, dès 6 h du matin une semaine sur deux, particulièrement à Créteil où entre trois et cinq camions viennent livrer des pièces chaque jour. »
Ces retours d’expériences catastrophiques sont loin d’être des cas isolés. À l’image d’Élodie, toujours en poste à Lyon, qui n’a désormais plus le courage de se rendre sur son lieu de travail. « J’ai travaillé plus de six ans dans diverses enseignes de prêt-à-porter, mais ici c’est l’horreur, raconte-t-elle désespérée. Les managers nous parlent comme des moins que rien, on est juste des matricules pour eux. En réalité, lorsque l’on signe chez Primark, on a l’impression que nos droits sont mis de côté, comme si l’on était au Bangladesh… » Des problèmes récurrents concernant les paiements des salaires, les fiches de paie et les arrêts maladies ont aussi été observés.