2 déc. 2014

Le travail en emploi s'intensifie en France

Le travail en emploi s'intensifie en France avec les effets délétères que l'on sait sur la santé, le budget de la sécurité sociale et la société. On produit plus vite, plus dans le stress - on produit donc plus mal et on se rend donc davantage malade en produisant.

Extrait d'un article de Xavier Molénat dans Sciences humaines (ici, en français)

Plus contraint, davantage évalué, moins solitaire, 
tel se présente aujourd’hui le travail selon une récente enquête du ministère de l’Emploi.
Devoir fréquemment s’interrompre pour réaliser une tâche plus urgente, respecter des délais serrés ou répondre immédiatement à la sollicitation d’un collègue ou d’un client… C’est à ce type de contraintes que se mesure ce que l’on appelle l’intensité du travail. Tous les sept ans depuis 1984, la Dares, le service de recherches et d’études du ministère du Travail, mène une enquête pour savoir comment évolue cette intensité. Et si l’enquête 2005 avait, contre toute attente, mis en évidence une « pause » dans l’intensification du travail qu’avaient diagnostiquée les volets précédents, l’édition 2013, dont la Dares vient de publier les résultats, montre que cela n’était en fait qu’une parenthèse : depuis trente ans, le travail n’a jamais été aussi contraint.

Rythmes et sollicitations

L’enquête, fondée sur les déclarations de 34 000 salariés en France, montre ainsi que la part de ceux qui subissent au moins trois contraintes de rythme (cadence d’une machine, dépendance vis-à-vis des collègues, surveillance permanente de la hiérarchie) atteint désormais 35 %, contre seulement 6 % en 1984. Les auteurs notent que les frontières sont aujourd’hui beaucoup plus floues entre les contraintes de type industriel (avoir son rythme fixé par une machine, devoir respecter des délais d’une journée au plus) et celles de type marchand (devoir répondre à des sollicitations – clients, public – exigeant une réponse immédiate). Alors qu’elles caractérisaient chacune un monde professionnel spécifique, elles tendent désormais à se croiser, puisqu’un tiers des salariés dit subir des contraintes des deux types. Si ce cumul s’étend à toutes les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers y restent malgré tout plus exposés que les autres groupes. La proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par un contrôle ou un suivi informatisé est également en forte hausse (35 % contre 25 % en 2005), en particulier chez les cadres (+ 12 %) et les professions intermédiaires (13 %). Autres indices de l’intensification du travail :
l’augmentation des personnes interrogées déclarant « ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux » ou « devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente ». De même, le contact avec le public s’étend et concerne désormais sept salariés sur dix, augmentant par là même la probabilité d’être « en contact avec des personnes en situation de détresse » (44,3 % des salariés contre 38 % en 2005) ou de « devoir calmer les gens » (53,3 %) – ce qui, on l’imagine, n’aide guère à se détendre au bureau.

(...)

L’enquête de la Dares montre par ailleurs que toutes ces évolutions sont davantage prononcées dans la fonction publique que dans le secteur privé. Ainsi, entre 2005 et 2013, la part de salariés subissant au moins trois contraintes de rythme y a augmenté de 8 points (de 21 à 29 %), contre trois seulement pour le secteur privé (de 34 à 37 %). Le niveau atteint même 41 %… dans la fonction publique hospitalière ! Plus généralement, le niveau d’intensité du travail reste fortement corrélé à la précarité de l’emploi. Toutes choses égales par ailleurs, « les intérimaires et les salariés qui craignent pour leur emploi cumulent davantage de contraintes de rythme de travail que les salariés “stables” ». Or, la crise aidant, la proportion de personnes « en situation de précarité ou d’instabilité » (qui inclut également les CDD et les temps partiels subis) atteint le tiers des salariés (un quart en 2005). L’intensification du travail a donc a priori toutes les raisons de se poursuivre dans les années à venir.

Élisabeth Algava, Emma Davie, Julien Loquet et Lydie Vinck, « Conditions de travail : reprise de l’intensification du travail chez les salariés », Dares Analyses, n° 049, juillet 2014.