Olivier Petitjean dans Basta résume
l'apocalypse capitaliste en cours dans le delta du Niger. Total extrait
du pétrole au mépris des populations locales. Qu'on se rassure: les
gens meurent, les ressources naturelles sont durablement sabotées, les
porte-flingue ont de l'ouvrage, les cancers et les maladies se portent
bien mais, mais
... ça fait de l'emploi!
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Le Nigeria est l’un des principaux terrains d’action des multinationales pétrolières occidentales. Leurs activités y ont entraîné un désastre environnemental de grande ampleur, qui laisse les communautés locales de plus en plus dépourvues de moyens de subsistance, et provoquent régulièrement des explosions de violences. Les opérations de Total dans le territoire du peuple Egi ne semblent pas déroger à la règle. Si le géant français vante ses relations « cordiales » avec les populations environnantes, les témoignages recueillis sur le terrain racontent une toute autre histoire.
Tout a commencé par une « explosion souterraine, accompagnée d’un incendie sous la terre ». Ces événements ont été suivis d’« éruptions de gaz très explosives ». Une éruption « si forte que la pression a transporté la boue jusqu’à la hauteur d’un très grand palmier. » Et le premier jour de cette catastrophe « les gens fuyaient pour s’abriter, car le gaz sortait de terre mélangé à la boue, en faisant d’énormes trous. » « Même dans mon champ de manioc, les feuilles sont toutes devenues anormales. Celles que nous avons réussi à récolter ne sont pas assez bonnes, et nous avons peur de les consommer », témoigne un paysan.
Nous sommes le 19 mars 2012, dans le delta du Niger, au Nigeria. La catastrophe décrite n’a rien de naturelle. Elle se déroule sur le territoire riche en hydrocarbures qu’exploite la compagnie pétrolière française Total. Et le calvaire ne fait que commencer pour les population Egi qui habite les lieux. « Il y avait des expatriés [de Total] sur place et nous leur avons posé des questions. Ils nous ont dit qu’il n’y avait pas de solution au problème et qu’il fallait leur laisser quelques mois pour en trouver une », raconte un habitant. « Il y a des panneaux de mise en garde dans toute la zone. Total vient de les installer pour avertir les gens des risques liés aux fuites de gaz. Imaginez-vous, on ne peut même plus utiliser un téléphone portable par crainte de provoquer un incendie ! » Des villageois se voient interdire de construire le maison, au risque de provoquer des fuites de gaz. La consommation de l’eau des puits est bannie ...
Au bout de deux ans, aucune solution miracle n’a été trouvée par les ingénieurs de Total. Les panneaux conseillant aux habitants de ne pas utiliser leurs téléphones, de ne pas faire de feu, de ne pas conduire de motos, sont toujours en place, selon les constatations l’ONG nigériane Environmental Rights Action (ERA) en octobre 2014. Le « bruit montant et descendant des éruptions de gaz, semblable à celui que font les vagues de l’océan » continue d’effrayer. Sans oublier « l’importante présence policière ». Ce que Total ne se permettrait jamais en Europe ou en Amérique du Nord, la multinationale se l’autorise allègrement en Afrique de l’Ouest. Pour ces raisons, l’entreprise se trouve aujourd’hui nominée, sur proposition de l’ERA, de Sherpa et des Amis de la terre France, au prix Pinocchio décerné à « l’entreprise ayant mené la politique la plus agressive en terme d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles ».
Des communautés sans recours face aux multinationales
Le sort du peuple Egi reflète celui de nombreuses autres communautés de la région du delta du Niger. Les grandes multinationales pétrolières occidentales – Shell, BP, ExxonMobil, Chevron, ENI, Total… – se sont installées depuis les années 1960 dans cette vaste zone humide riche en hydrocarbures. Alors qu’il ne représente que 7% du territoire du Nigeria, le delta du Niger abrite plus de trente millions de personnes, réparties en une mosaïque d’ethnies. Des communautés condamnées à une coexistence forcée avec l’industrie pétrolière et gazière. 10 000 kilomètres de pipelines – souvent anciens et mal entretenus – sillonnent la région. De nombreux rapports d’ONG ou d’organisations internationales comme le Programme des Nations unies pour l’environnement ont révélé l’ampleur de la pollution pétrolière qui sévit dans le delta du Niger, et le peu d’empressement des multinationales pour nettoyer les dégâts occasionnés directement ou indirectement par leurs activités.
La sévère pollution de l’air et de l’eau qui en résulte affecte directement les moyens de subsistance des populations locales, qui dépendent de la pêche ou de l’agriculture pour leur survie. Les bénéfices économiques du pétrole et du gaz n’existent pas pour ces communautés, qui vivent pour la plupart en dessous du seuil de pauvreté. Pire encore, le delta du Niger subit une violence endémique, attisée par les conflits liés à l’accès à la terre – de plus en plus rare – et par l’appât des revenus pétroliers. Conséquence : l’espérance de vie dans la région ne dépasse pas 43 ans !
(...)Accaparement des terres et expropriation des paysans
Autre enjeu, celui des terres et des ressources naturelles dont ces communautés dépendent pour leur subsistance. Celles qui ne sont pas rendues inutilisables par la pollution quotidienne et les accidents sont peu à peu grignotées pour les besoins des multinationales. Le gouvernement nigérian a mis en place une législation facilitant l’expropriation des paysans au bénéfice des opérateurs pétroliers, avec des obligations de compensation très limitées. Dans le territoire du peuple Egi, Total a engagé en 2006 un processus d’acquisition de nouvelles terres pour étendre son usine locale provoquant un mouvement de protestation qui a dégénéré en violences. Dans d’autres cas, Total est accusée d’avoir délibérément ignoré les propriétaires traditionnels, s’accaparant leurs terres comme s’ils n’existaient pas ou comme si elles appartenaient à d’autres. Les éruptions de gaz de 2012 sont attribuées par beaucoup de riverains à l’usage mal contrôlé par Total d’une technique de forage horizontal, mise en œuvre pour opérer « sous » de nouveaux terrains sans avoir à compenser leurs propriétaires.
Accusé d’accaparement par les communautés, Total répond avoir mis en place une « équipe de 5 personnes, dont l’une des missions est précisément de visiter les communautés et de négocier les accords lorsqu’il y a acquisition de terrains, qui font l’objet de contrats agréés par les parties ». Mais, pour les associations, cela ne signifie pas grand chose dans le cadre d’un rapport de forces totalement déséquilibré, alors que les paysans n’ont souvent pas d’autre choix que de partir. Qui est là pour s’assurer que la compensation est équitable et transparente ? Les témoignages recueillis sur le terrain font état de compensations partielles ou symboliques, un peu d’argent pour payer les cultures en train de pousser.
Les possibilités d’emploi offertes par Total sont loin de compenser la destruction des moyens de subsistance traditionnels. L’entreprise elle-même parle de cent emplois directs, auquel il faut ajouter une multitude de petits boulots auxiliaires, pour une population de plusieurs centaines de milliers de personnes. Pour de nombreux Egi, les perspectives d’avenir sur leurs terres ancestrales s’amenuisent de plus en plus : « Nous attendons que Total vienne et nous reloge. Non pas que nous soyons désireux de céder nos terres et nos maisons à l’entreprise. Si nous voulons être relogés, c’est que nous ne voulons pas mourir », entend-on.
