19 août 2014

Usines récupérées - 4. Viana

Nous terminons notre tour d'Europe des usines récupérées en compagnie de Diagonal (ici, en espagnol) par l'Espagne.

Traduction et résumé.

En mars 1969, du jour au lendemain, la moitié des familles de Torrecilla (province de La Rioja), quelques 144 familles se sont vues contraintes à l'exil à Viana (province de Navarre) où l'entreprise de meubles pour laquelle elles travaillaient avait déménagé. Là, on construit sept blocs d'appartements pour héberger les 640 émigrés. Quelques années plus tard, Fermin Pena a commencé à travailler pour l'entreprise. Il continue à le faire 38 ans plus tard. Il fut sur le point de rester sur le carreau avec le reste du personnel il y a deux ans, lors de la fermeture de Muebles Salcedo. Maintenant, l'entreprise ne s'appelle plus Muebles Salcedo mais Viana et l'entreprise appartient aux travailleurs.

La compagnie avait acquis une réputation combative au terme de cycles répétés de grèves. Cela n'allait pas être facile d'en finir avec ses travailleurs. "On a commencé à dire que les choses allaient mal et les propriétaires ont décidé de fermer [l'usine]" raconte Pena. Comme 250.000 entreprises depuis le début de la crise, Muebles Salcedo était obligé de jeter l'éponge.

Les perspectives des 132 travailleurs ne pouvaient pas être pires. "À l'époque, et avec l'âge qu'on a ... il fallait s'attendre à quelque chose. Si ce n'était pas là, où allions-nous travailler? Sauf deux ou trois, nous avons tous plus de 50 ans" dit Fermin. Avec les indemnités d'avance du chômage, les travailleurs ont acheté l'entreprise et l'ont transformée en coopérative.

Une histoire qui s'est répétée depuis le début de la crise en 2008, avec différents noms: Mec10, Profinox, Zero-Pro, El Nou Rals, Tafinox, Curvados Alzania... 
Le nombre exact d'entreprises 'coopérativisées' est inconnu mais tous ceux qui ont étudié le phénomène sont d'accord pour signaler qu'il y en a des centaines et que le nombre augmente. En 2012 seulement, la dernière année pour laquelle il y a des données, les travailleurs ont pris le contrôle de 150 entreprises en faillite ou en risque de faillite en Europe. La moitié d'entre elles se situent en Espagne, selon la Confédération Européenne des Coopératives de Travail.

Entreprises 'coopérativisées'

"Quand on parle d'usine récupérée, ce qui vient spontanément en tête, c'est l'expérience argentine" dit Mariana Vilnitzky, journaliste de la revue Alternativas Economicas. En Espagne, commente ce journaliste d'origine argentine, "il existe d'autres formules".

Beaucoup d'entreprises 'coopérativisées' naissent avec la capitalisation du chômage ou des indemnités de licenciement des travailleurs qui décident de reprendre leur entreprise. En d'autres circonstances, le personnel se met d'accord avec le propriétaire pour transformer l'entreprise en coopérative pour éviter la fermeture. Ce fut le cas de Cuin Factory, à Vilanova (Barcelone) où le propriétaire en personne est devenu un des membres de la coopérative, recevant le même salaire que les autres: 900€. Dans d'autres cas, les travailleurs victimes d'un plan de licenciement collectif créent une nouvelle entité et restent clients ou usagers comme cela s'est passé avec Musicop, une coopérative créée par les 35 travailleurs licenciés de l'École de Musique de Mataro (Barcelone), dépendant de la mairie. La nouvelle coopérative a non seulement maintenu les postes de travail mais les a augmentés.

"L'entreprise allait fermer et nous l'avons empêché pour pouvoir avoir du travail. Il semble que nous ayons réussi".

Malgré cette vague d'entreprises coopérativisées, le phénomène est sans commune mesure avec la destruction d'emploi provoquée par la crise. Selon Vilnitzky, les consultations pour lancer de nouvelles coopératives ont triplé dans beaucoup de provinces. Mais c'est parfois trop tard. "Quand on commence à se demandé pourquoi on s'est déjà avalé tout ce chômage, quand on cherche depuis longtemps du travail ... Alors, c'est le moment où on commence à penser à lancer quelque chose à soi. Le problème, c'est que quand on en arrive là, on n'a plus les moyens de le financer", dit-il. "En Argentine, il n'y a pas d'indemnité de chômage, il n'y a rien - continue-t-il - au moment où tu n'as plus de travail, la nécessité de lutter pour ton poste de travail est plus impérieuse. Le problème, c'est que, en Espagne, il y a encore des gens qui pensent que, si on reste sans travail, on obtient quelque chose".

[La nécessité de la misère pousse effectivement l'emploi à tout prix! Mais voyons comment se passer de patron.]

De meilleurs résultats

"Les coopératives sont [les entreprises] qui traversent le mieux la crise" affirme Juan Antonio Bernabéu, auteur d'un livre sur les coopérative de travail associé comme solution à la restructuration des entreprises en période de crise économique. "Les coopératives maintiennent l'emploi [c'est précisément ce qu'on peut leur reprocher!], elles sont capables de générer de l'emploi, d'éviter la fermeture d'usines. Cela se démontre en chiffres argumente-t-il. Jusqu'en 2013, les coopératives s'étaient limitées à détruire l'emploi à un rythme légèrement inférieur à celui des autres entreprises, mais l'année passée, la tendance s'est inversée: pour la première fois depuis le début de la crise, le nombre total de coopérative créée a augmenté, de 23% par rapport à l'année antérieure".

Bernabéu explique que la meilleure résistance des coopératives par rapport aux entreprises traditionnelles est due à leur meilleure capacité d'adaptation: "Ce ne sont pas des entreprises d'usage mais des entreprises participatives, démocratiques dans lesquelles tous les coopérateurs sont propriétaires de l'entreprise, une chose qui leur permet une agilité d'adaptation que n'a aucune entreprise standard. Cette capacité d'adaptation, reconnaît-il, a son côté sombre dans l'auto-exploitation et dans des acceptions très diverses de la coopérative, dans une gamme qui va depuis des entreprises de trois employés jusqu'au groupe de Mondragon qui, en 2012 donnait [sic!] du travail à plus de 80.000 personnes. La dernière raison de la croissance des coopératives et des entreprises récupérées, résume Bernabéu, est à chercher dans l'essai d'un "modèle qui, pour le moment, fonctionne mieux que l'entreprise classique". Aussi, "de la nécessité des gens qui ne veulent pas rester sans travail". Comme dans le cas des Muebles Viana. "L'entreprise allait fermer ... et nous avons empêché cela pour pouvoir avoir du travail. Et il semble que nous ayons réussi" dit Fermin Pena.