3 août 2014

Néolibéralisme en Iran - notes de lecture

Nous résumons et traduisons un article de Majid Tamjidi publié en anglais sur l'International Alliance in Support of Workers in Iran (ici).

Les travailleurs ont joué un rôle clé dans le renversement de la monarchie du Shah en 1979 mais, comme leurs revendications demeuraient floues, ils ont assistés impuissants au remplacement d'une monarchie par une théocratie rétrograde.

Les travailleurs - notamment dans les raffineries pétrolières - ont cessé toute production pétrolière en faisant grève. Ils étaient le pivot de la révolution de 1979. Outre les travailleurs du secteur pétrolier, beaucoup d'autres travailleurs avaient créé leurs conseils ouvriers dans les usines dont les propriétaires avaient fui le pays, et avaient mis en place le contrôle et la gestion ouvriers de la production. La force des ouvriers pendant la révolution était si significative et substantielle que même après la défaite de la révolution, l'expulsion, l'arrestation et l'exécution des travailleurs opposés à la République Islamique d'Iran (RII), les droits des travailleurs les protégeaient encore formellement dans le Droit du travail, qui attestait un équilibre du pouvoir. Bien qu'aucun Droit du travail ne reconnût le droit des travailleurs à s'organiser librement, comparée au Droit du travail du Shah, le Droit du travail a été amélioré par l'introduction des indemnités de licenciement et la couverture universelle des travailleurs. Avec le déclenchement de la guerre Iran-Irak en 1980 et l'avènement d'une économie de guerre, notamment due à la fermeture de la raffinerie pétrolière d'Abadan (la plus grande raffinerie au monde à l'époque) et d'autres centres industriels, la RII put imposer des conditions de travail dégradées aux travailleurs à ce moment-là, augmenter la visibilité de ses soutiens ("La maison des travailleurs", les sociétés islamiques, les conseils islamiques) et affaiblir la présence d'avant-garde travaillistes de gauche. Il faut dire que la RII a été considérablement aidée dans ce processus par des groupes autoproclamés "gauchistes" qui utilisaient l'imposture de l'anti-impérialisme comme prétexte pour faciliter l'emprise de la RII. 1981 fut une étape majeure dans la défaite des activistes d'avant-garde et la victoire des soutiens de la RII dans les milieux ouvriers.

Avec la fin de la guerre en 1988, l'"ère de la reconstruction" a commencé sous l'administration de Hashemi Rafanjani. Cette période (1989-1997) s'est surtout distinguée par la mise en place de réformes économiques, la transformation de la privatisation au profit d'individus et d'institutions proches de la RII, l'extension du secteur privé dans l'économie, la facilitation des investissements étrangers et la coopération avec les capitaux étrangers.

Pendant l'ère Mohammad Khatami (1997-2005), les privatisations se sont fort accélérées, les obstacles légaux ont été levés les uns après les autres pour favoriser le secteur privé. Pendant les huit années de présidence de Khatami, un management post-moderne fort semblable au management en court à l'Ouest a été sauvagement imposé aux travailleurs. Ce nouveau système de management a été institutionnalisé par la concentration et l'élimination des accords de négociations collectives, par la division des grands centres de production en unités plus petites, par le recours à la sous-traitance extérieure, par la réduction des stocks, par la production en fonction des commandes pré-vendues, par la suppression de la couverture légale pour les travailleurs dans les petits ateliers (ce qui a touché des millions de travailleurs), par l'explosion des contrats temporaires et des contrats "en blanc" (contrats dans lesquels le travailleur signe un contrat non écrit dont les détails sont déterminés par l'employeur selon son gré). Dans un contexte de chômage de masse, on a imposé beaucoup de reculs aux travailleurs. Dans cette période, le non-payement de salaire, parfois avec un an ou deux de retard, est devenu un phénomène ordinaire, une norme.

Pendant l'administration Ahmadinejad (2005-2013), ces réformes économiques se sont poursuivies avec encore plus de vigueur, accompagnées de quelques gesticulations populistes telles que le payement en liquide de subventions. Bien que ces subventions aient aidé ceux qui se trouvaient sous le seuil de pauvreté du fait du taux d'inflation élevé, elles n'ont pas fait avancer la cause des travailleurs qui essayaient d'obtenir les nécessités de base pour vivre. Pendant ces administrations, Rafsanjani, Khatami et Ahmadinejad, la privatisation et le transfert de propriété d'État aux individus et aux institutions proches du clergé et des gardiens au pouvoir n'a pas cessé. Quand l'Occident a mis sur pied ses sanctions économiques, la majorité de l'économie iranienne était dans les mains d'individus et d'institutions proches de la classe au pouvoir. Les sanctions ont été prises alors que 80% des travailleurs iraniens était employé de manière temporaire, sans contrat de travail formel, alors qu'un pourcentage élevé de travailleurs ne sont pas couverts ou protégés par un Droit du travail, alors que le salaire minimum s'élève à environ un quart du seuil de pauvreté, que le taux de chômage officiel est de 12% - bien en dessous du taux de chômage réel estimé à 30%.

Bien que Rouhani ait promis pendant sa campagne d'augmenter les salaires et de baisser l'inflation, d'adopter une politique sociale plus égalitaire, en fait, ses décisions ont montré qu'il ferait tout sauf ce qu'il avait promis. En prenant ses fonctions, son premier acte fut d'annuler la décision de transformer 500.000 contrats temporaires en CDI dans les ministères. Un élément des plus inquiétants de cette administration a été l'embauche du chef de la Chambre de Commerce de Téhéran, Massoul Nili, comme conseiller économique. Nili a un lourd passé de soutien aux politiques néolibérales les plus agressives en Iran - politiques qu'il a toujours défendues dans ses différents postes, comme académique ou comme officiel ou à la Chambre du Commerce, avant d'occuper sa fonction actuelle, où il a fait pression pour imposer les intérêts et les politiques favorables aux capitalistes privés, aux marchands. L'embauche de Nili est un signe de leur victoire à cette fin.

Le contenu du plan économique de Nili est complètement en accord avec tous les "ajustements structurels" néolibéraux tels que:
- l'extension de la privatisation de tous les services et toutes les institutions publiques
- la promotion de la compétition dans le secteur financier
- la modification des lois de faillite en faveur du secteur des affaires
- l'augmentation graduelle des prix dans le secteur de l'énergie
- la réduction des dépenses de l'État, la réduction du rôle économique de l'État
- la promotion de l'investissement étranger
- le maintien d'un marché du travail bon marché.

Le rapport 2014 du FMI a défendu exactement les mêmes politiques pour l'économie iranienne qui sont en total désaccord avec les buts et le projet économiques de l'administration Rouhani. Les priorités économiques de Rouhani et la réalisation de sa "Seconde Phase d'Élimination des Subsides" sont des signes précurseurs clairs que, en terme de poursuite de politiques néolibérales agressives, il va prouver que son administration est encore plus néolibérale.

*This piece is based on two articles by Majid Tamjidi:
"Rouhani's Administration and Plans for the Great Robbery"- April 2014
"Conditions of Iranian Working Class in Islamic Republic" Unpublished manuscript.
Majid Tamjidi is a labour activist and member of IASWI in Sweden.