Extraits-résumé-traduction.
Il y a environ 1 million de travailleurs de la construction immigrés dans les Émirats aujourd'hui. On leur confisque leur passeport - comme c'est le cas de Tariq avec qui j'ai parlé - et gagnent entre 120 et 250€ par mois. Ils devront travailler pendant des années pour rembourser les dettes des recruteurs qui leur ont obtenu leur emploi.
Les reportages sur les conditions de travail des travailleurs dans le Golfe se sont multipliés. Les articles contrastent avec les gratte-ciel rutilants qu'ils ont construits et les salaires de misère qu'ils touchent. En mai, le New-York Times a publié un exposé sans concession des violations du droit du travail à Abu Dhabi.
Les travailleurs pour le Louvre sont employés par une compagnie appelée Arabtec, une des plus grandes entreprises de BTP dans le Golfe. Le gouvernement détient 20% des parts d'Arabtec et les travailleurs ont organisé des grèves contre eux depuis des années.
En 2007, il y a eu jusqu'à 30.000 travailleurs d'Arabtec en grève à Dubaï. Les hommes qui construisaient Burj Khalifa, le plus grand gratte-ciel du monde, ont posé leurs outils. La grève avait été coordonnée par des téléphones portables pour protester contre les salaires trop bas et les conditions de vie misérables. La police a arrêté 4.000 grévistes. Après dix jours, Arabtec a promis une augmentation de salaire. Le directeur de la compagnie, Riad Kamal, a déclaré à Reuters que cette augmentation aurait un impact de moins de 1% sur les profits de la compagnie.
Mais les grèves et les répressions se sont poursuivies. En 2011, 3.000 travailleurs ont débrayé. Ils gagnaient 135€ par mois et voulaient 30€ d'augmentation. La police a arrêté 70 hommes, a déclaré qu'ils étaient des meneurs. "Leur présence dans le pays est dangereuse" déclara le chef de la police de Dubaï, le Colonel Mohammed al Murr, au National, un journal officiel.
Suite à cette grève, les travailleurs Bangladeshis qui étaient accusés d'avoir aidé à organiser les grèves ont été interdits de visa pour les Émirats pour une période indéterminée.
En mai 2013, des milliers de travailleurs d'Arabtec ont cessé le travail à Dubaï et à Saadiyat - y compris sur le chantier du Louvre. Ils exigeaient une allocation de 65€ pour la nourriture. Selon une source qui a souhaité conserver l'anonymat, "La police a été appelée après une journée. On a dit aux travailleurs de retourner au travail faute de quoi on les renverrait dans leur pays. Les semaines suivantes, au moins mille travailleurs d'Arabtec à Abu Dhabi ont été interpellés et leurs visas ont été annulés. La plupart d'entre eux était Bangladeshis.
En réponse, Arabtec a promis une augmentation de 20% du salaire. Aucun des travailleurs que j'ai interrogé n'a jamais vu l'argent.
Arabtec a remplacé les Bangladeshis par des Pakistanais. C'est une stratégie classique de "diviser pour régner", vieille comme l'Empire Britannique. En août 2013, les tensions ont dégénéré entre les Pakistanais et les Bangladeshis au village Saadiyat. Les travailleurs ont retourné leurs outils contre les leurs. La police a tiré des coup de feu en l'air. Après les émeutes, les Pakistanais ont été emmenés vers d'autres camps.
***À peu près 10% des résidents des Émirats sont des nationaux. Le reste est composé "d'expats" (si ce sont des cols blancs) ou de "main-d’œuvre immigrée" (si ce sont des ouvriers). Les étrangers peuvent vivre aux Émirats pendant des générations, mais sans pouvoir prouver un héritage émirati, il n'est pas possible d'obtenir la citoyenneté. Ils peuvent être expulsés selon l'humeur.
Au milieu de ce désaffranchissement, les Émiratis peuvent sembler des aristocrates aux étrangers. On peut être arrêté simplement parce qu'on les bouscule dans la circulation.
Les conditions de travail épouvantables sont connues au Bangladesh ou au Népal qui continuent pourtant à y envoyer de gros contingents. 10 milliards d'€ sont versés chaque année par les expatriés chez eux. Les migrants sont poussés aussi bien par le besoin d'argent que par la guerre - du Cachemire pakistanais occupé par les talibans, par exemple.
Quels que soient les pays d'où viennent les migrants, ils doivent toujours verser une commission à un recruteur (prime qui est partagée avec le sous-traitant émirati). Alors que les compagnies qui embauchent prétendent couvrir tous les frais (trajet en avion, visa, examen médical), les recruteurs des pays d'origine et leur partenaire dans les Émirats demandent souvent une année complète de salaire au travailleur lui-même. Dans certains pays, les recruteurs contournent les lois sociales locales en embauchant un sous-traitant qui parcoure les villages à la recherche des illettrés, des désespérés ou simplement, de ceux qui sont suffisamment frustrés pour courir les dangers du Golfe.
Les travailleurs contractent des prêts, vident l'épargne familiale ou gagent leur terre.
Alors que les Émiratis dépendent du travail immigré, ils préfèrent que les travailleurs restent invisibles hors des heures de travail: les règles du camp de travail sont strictes: pas d'alcool, pas de cuisine, pas de jeu de hasard, pas de pornographie.