Extrait.
Une forme inattendue de « fraternité et unité » croato-serbe renait de ses cendres en cette année 2014. Un quart de siècle après l’éclatement de la Yougoslavie et la fin du socialisme, ces concepts reviennent au devant de la scène grâce au concours involontaire des élites politiques des deux pays qui ont, presque le même jour, décidé d’adopter de scandaleuses nouvelles lois sur le travail.
En Croatie comme en Serbie, un large front d’opposition s’est créé, réunissant un grand nombre d’acteurs de la société civile comme le Front féminin pour le droit du travail et les questions sociales (Ženska fronta za radna i socijalna prava) en Croatie et ou le forum de la gauche radical serbe Levi Samit, pour essayer de préserver les derniers acquis des luttes ouvrières. En face, les deux parlements, comme en miroir, de façon tout aussi arrogante l’un que l’autre, ignorent la colère des citoyens.
En Serbie, l’adoption de ce projet de loi sur le travail peut être considéré comme une atteinte directe au processus démocratique : la loi a été votée sans aucun débat public, selon une procédure accélérée (au même titre que les quarante autres lois adoptées par le parlement le mois dernier), pratiquement sans consultation de la population ni des travailleurs. L’État a même eu la grossièreté de la faire passer en procédure nocturne, afin d’ôter aux acteurs sociaux toute possibilité de réagir.
Ces nouvelles législations adoptées en rafale dans toute la région, au nom de la flexibilité du marché, vont précariser les conditions de travail. Les licenciements seront entièrement libéralisés et les travailleurs auront moins de possibilités légales de défendre leurs intérêts. On permettra une extension quasi illimitée des heures de travail sans compensation, on annulera l’indemnisation du travail en trois)huit, et en permettant ce qu’on appelle « l’emprunt » de travailleurs, on laissera une grande marge aux agences d’intérim, tandis que d’un autre côté, les contraintes imposées aux employeurs ne seront que très vaguement définies. En clair, ces nouvelles lois sont un pas de plus vers la précarisation de la force de travail et la généralisation de l’insécurité sociale. Ces changements peuvent avoir pour conséquence un manque de perspective professionnelle et un blocage total de la mobilité sociale.
Retour au capitalisme du XIXe siècle
Comme l’on pouvait s’y attendre de la part des gouvernements néolibéraux dans les Balkans, la loi est présentée comme étant une « nécessité ». La libéralisation serait indispensable pour une meilleure efficacité de l’économie, et la libéralisation du travail serait une tendance mondiale sans laquelle on serait laissé en marge du monde moderne. Mais cette idéologie hystérique du Out with the old, in with the new masque en fait un retour en arrière complet sur les avancées de la civilisation contemporaine, telles que la protection des travailleurs face aux choix arbitraires des employeurs, les huit heures de travail quotidien, l’organisation syndicale, la protection sociale, ou enfin et surtout, l’idée même que l’État doit être au service de ses citoyens.
Il s’agirait donc plutôt de mesures qui restaurent les mécanismes d’exploitation capitaliste du XIXe siècle, et de l’instauration d’un État autoritaire qui a pour fonction le maintien des hiérarchies sociales et la reproduction du rapport de force capitaliste. Ce serait donc plutôt l’idéologie du « Out with the new, in with the old »...