Extrait
Depuis le 1er janvier 2001, la législation communautaire permet à chaque pays membre de l’Union européenne d’employer un quota important de marins étrangers, les armateurs pouvant les payer au tarif en vigueur dans leur pays d’origine. « Ils font appel à des marchands d’hommes – c’est le terme employé dans la marine – pour constituer leurs équipages, explique le capitaine. En France, on embauche des Roumains, car beaucoup parlent français. Ils touchent un peu plus de 300 euros par mois. Mais les salaires les plus bas sont pour les Chinois ou les Africains, soit 80 euros mensuels. Les mecs ne sont pas motivés, ils sont à bord pour six mois ou un an, ils empochent leur pécule et la plupart ne remettent jamais les pieds sur un navire. » Selon lui, nombre d’accidents maritimes – Erika, Bow Eagle, Jolly Rubino, Ievoli Sun – sont liés à ces pratiques de dumping social. Les statistiques de la Lloyd confirment : « 80 % des accidents maritimes sont dus à des erreurs humaines. »
En comparaison, Pierre, Yves, Jean-Pierre et Sylvain sont à bonne enseigne : le remorquage, c’est la Rolls-Royce de la navigation où, souvent, les marins viennent finir leur carrière. Ils travaillent 24 heures d’affilée, certes, mais un jour sur trois pendant deux mois, puis prennent trois ou quatre semaines de congés. Embauchés sous pavillon français malgré un armateur espagnol, ils cotisent en France, où retraite et protection sociale leur sont assurées. Retraite qu’ils prendront d’ici un an ou deux, à 55 ans. Autre fait notable : ces quatre-là s’entendent comme larrons en foire, ce qui n’est pas toujours le cas sur un navire. Quand il a présenté ses complices de bord aux émissaires de CQFD, Pierre n’a pas hésité à les charrier : « À eux trois, ils comptabilisent je ne sais combien de gosses, et six divorces ! »(...)
De retour à quai, Pierre détaille les mauvais coups que prépare l’Europe avec, notamment, la directive concernant l’accès aux marchés des services portuaires. Proposée pour la première fois en février 2001, elle concerne, entre autres, le pilotage, le remorquage, l’amarrage, la manutention, le stockage et le groupage de fret. Et elle est tout à fait favorable à une accentuation de la concurrence de l’ensemble de ces services. L’idée ? CQFD l’évoquait déjà en mars 2005 : « Toute entreprise étrangère faisant partie de l’Union européenne (UE) pourra s’installer et carburer n’importe où dans l’UE selon les lois édictées dans son propre pays. Une boîte maltaise délocalisée dans le port du Havre, par exemple, ne cotiserait pas aux régimes de retraite et de sécurité sociale, ne verserait pas de salaire minimum garanti à ses salariés, ne leur donnerait pas droit aux congés prévus par les conventions. » Si cette directive a été envoyée par le fond à deux reprises, il est fort probable qu’elle refasse surface après les élections européennes des 22 et 25 mai.
