30 janv. 2014

Vie de chômeur en Suisse

Le Monde Diplomatique met en ligne un article de Morgane Kuehni publié en juillet dernier (ici).

La journaliste explique les conditions dans lesquelles les chômeurs sont harcelés dans le pays de l'exil fiscal.

Les chômeurs sont assignés au travail obligatoire (et gratuit) qu'ils contournent parfois en montrant peu de zèle à faire payer leurs clients.

Extrait.

Les conseillers en placement peuvent assigner les chômeurs:

L’assignation est une procédure officielle par laquelle un conseiller en placement peut contraindre une personne inscrite dans un ORP à suivre une mesure active du marché du travail (MMT). Il en existe trois types : les mesures de formation, les mesures spécifiques et les mesures d’emploi, qui comprennent les programmes d’emploi temporaire, les semestres de motivation (pour les jeunes) et les stages en entreprises fictives.
Concrètement, l'assignation c'est...

Mis en place au milieu des années 1990 dans le cadre de l’assurance-chômage, ces programmes visent à la « réinsertion rapide et durable » sur le marché du travail. D’une durée de trois mois, ils portent sur des activités « proches de la réalité professionnelle », selon les termes officiels, mais se gardent toutefois de « concurrencer l’économie privée ». Exercés sur une sorte de « marché du travail secondaire (1) », ils sont effectués dans des « entreprises » qui ne réunissent que des sans-emploi, dans l’administration publique ou dans des associations sans but lucratif. Refuser d’y participer constitue selon la loi sur l’assurance-chômage (LACI) une faute grave entraînant la suspension des indemnités pour une période déterminée (entre un mois et demi et trois mois).
La contrainte n’est pas, et de loin, la seule particularité de ces programmes. Le travail assigné échappe largement aux catégorisations ordinaires. Il ne s’agit pas d’un travail gratuit, puisqu’il est une contrepartie exigible en échange du versement des indemnités de chômage — lesquelles ne sont pourtant que le résultat légitime d’une cotisation. Et il ne s’agit pas non plus d’un emploi, puisqu’il ne donne pas droit à un salaire et aux prestations sociales qui lui sont généralement attachées. Aucune expression ne résume mieux la situation que celle de plusieurs des personnes rencontrées : c’est un « vrai-faux travail ». Dans leur esprit, les travailleurs assignés exercent un vrai travail, puisqu’ils produisent des biens et des services dans un rapport hiérarchiques ; mais ils parlent aussi de faux travail puisque, contrairement aux salariés, ils ne sont pas liés par un contrat classique, mais par un « contrat d’objectifs » qui définit les rapports hiérarchiques, la prestation et le temps mis à disposition, sans accord sur la rémunération. Pas de prévoyance retraite, par exemple, ni de possibilité de prolonger un droit au chômage.
 (...)

Et l'article du Monde Diplomatique conclut sur la portée philosophique de ce genre de mesure (que nous qualifierions d'employiste).
L’idéologie qui sous-tend la mise en place des politiques d’activation a le mérite d’être limpide : traquer et stigmatiser toute forme de non-emploi, et sacraliser le travail comme support unique et nécessaire du lien social. Certes, le travail demeure une valeur centrale pour les personnes assignées ; mais pas n’importe lequel, ni dans n’importe quelles conditions. En échange de leur labeur, elles aimeraient pouvoir assurer leur subsistance et y trouver un sentiment d’utilité et de reconnaissance, plutôt que de devoir faire face aux soupçons et fournir une double preuve de leur « employabilité ». Loin de favoriser la cohésion sociale et la solidarité souvent invoquées par les représentants de l’Etat social, l’assignation au travail joue clairement en faveur de la fragmentation des statuts et crée de nouvelles formes d’inégalités parmi les plus défavorisés.