19 nov. 2013

Déportation et enclosure en Ethiopie

Cet article du monde diplomatique (http://blog.mondediplo.net/2013-11-18-Terres-volees-d-Ethiopie) nous fait part de nouvelles alarmantes concernant les agriculteurs vivriers. Ils sont chassés de leur terre manu militari et se voient attribuer des parcelles beaucoup plus petites à défricher.

C'est un phénomène d'enclosure typique du capitalisme naissant. En guise d'explication, nous citons Agnès Stienne du Monde Diplomatique:

Dans la région agropastorale de Gambella, 42 % des terres ont été confisquées, les habitants priés d’aller voir ailleurs. Une première vague de villagisation étalée sur trois ans a débuté en 2010 pour déplacer 45 000 foyers Anuaks et Nuer. Il s’agissait, disait-on, de reloger les communautés dans des villages plus modernes dotés de meilleures infrastructures (écoles, centres de santé, routes, marchés) et enfin, d’octroyer à chaque foyer 3 ou 4 hectares de terres irrigables. Ce qui semblait attrayant sur le papier s’avérait désastreux dans la réalité : ces projets ne tenaient pas compte des besoins les plus élémentaires des troupeaux, c’est-à-dire paître et boire. Ensuite, aucune disposition n’avait été envisagée par l’intendance pour faire la soudure entre le moment où les champs seraient abandonnés avec les récoltes et celui où les nouvelles parcelles vivrières, préalablement défrichées, semées, irriguées et cultivées, porteraient leurs fruits. Sur place en 2011, HRW expliquait qu’après avoir opposé un refus au plan d’aménagement présenté par le gouverneur de région, les habitants ont été contraints de quitter les lieux, chassés par les forces de police et l’armée. Cette répression aurait fait trois cents morts, beaucoup de villageois ont été emprisonnés arbitrairement et de nombreuses femmes ont été violées.
La suite est tristement connue : pas de moulin à grain, pas d’accès à l’eau potable, des écoles sans enseignants et des enfants privés de scolarité, et des centres de santé qui ne fonctionnent pas. Les personnels de santé et les enseignants ont été forcés de travailler dans le secteur de la construction simplement pour permettre au chantier d’avancer... Les adolescents, quant à eux, devaient également participer aux travaux s’ils voulaient obtenir l’autorisation de passer leurs examens ! Finalement, les familles n’ont reçu pour toute compensation que des parcelles de 0,25 à 0,50 hectares de terres, en général peu fertiles, et qu’elles doivent en outre défricher sans outils... Plusieurs villages ont été abandonnés, les paysans ayant fui les violences policières : 1 500 se sont réfugiés au Kenya en mai 2011, et 2 150 en décembre de la même année [8].
La colère des populations autochtones n’entrave en rien les stratégies qui se décident dans les couloirs des ministères. On cite souvent, au nombre des acquéreurs, le groupe saoudien Saudi Star et la compagnie indienne Karuturi. Le premier permet à l’Arabie saoudite de préserver ses ressources naturelles, en premier lieu l’eau, élément essentiel du « deal ». A la seconde de faire un profitable business. Il ne faudrait pas sous estimer la présence en Ethiopie de l’Europe, des Etats-Unis ou d’Israël, très présents, notamment dans la production d’agrocarburants. Derrières les hautes clôtures qui ceignent ces immensités livrées à la surexploitation, parfois sous la garde de la police locale, c’est l’artillerie lourde de l’agrobusiness que l’on utilise pour remodeler les paysages à l’aide d’une flotte de bulldozers : tunnels en plastique à perte de vue, mécanisation, intrants pétrochimiques. Les habitants dépossédés, repoussés au-delà de ces barrières physiques et culturelles, ont vu la forêt, dont ils dépendent pour le bois, les fruits et les plantes médicinales, disparaître, les rivières détournées et leur mode vie anéanti. La seule option qui leur soit offerte est d’être recrutés comme ouvriers agricoles, exploités pour le compte de ceux qui les ont ruinés. Ou rejoindre les bidonvilles.