7 janv. 2015

Une carte de Madagascar

Le Garap (Groupe d'action pour la recomposition de l'autonomie prolétarienne) nous envoie cette carte de Madagascar (article ici, en français).

Extrait
Depuis près de cinq ans donc, Madagascar est « en transition ». En réalité, cette situation dont feint de se scandaliser la clique politicienne vernaculaire gangrenée par l’affairisme, est une véritable impasse politique. Les agissements chaotiques des intérêts privés se nourrissent de la décomposition alarmante de l’appareil d’État, dont l’amenuisement des politiques publiques et la corruption endémique sont les stigmates manifestes. Ce désordre concentre les conditions idéales au dépeçage du territoire sous les crocs des transnationales.
           
Coutumier des politiques d’austérité et de déréglementation depuis les ajustements structurels du FMI des années 1990, l’État Malgache a tenu à diminuer sa dette publique (qui représente  environ 6% du PIB et dont les créanciers sont principalement occidentaux) durant la récente période de crise politique. Le déficit budgétaire a été maintenu à 3,1% du PIB en 2012. Conséquemment, des restrictions drastiques ont frappé les budgets publics dans des secteurs vitaux tels que la santé (de nombreux centres de santé ont fermé), l’aide sociale (la malnutrition a explosé), l’éducation (plus de 900 000 enfants ont été déscolarisés en cinq ans). Le délabrement général des routes, des bâtiments et des transports publics, résulte directement d’une absence totale d’investissements. Parallèlement, dans le but de rendre l’économie « attractive » aux investisseurs étrangers, les « zones franches » ont pullulé, le droit du travail a été réduit en lambeaux. 
La corruption, quant à elle, a proliféré, et s’est installée au cœur du fonctionnement des institutions. Selon le Baromètre Mondial sur la Corruption 2013 dans une enquête publiée par l’ONG Transparency International et réalisée auprès des habitants de Madagascar, « le secteur judiciaire, la police, les autorités publiques/fonctionnaires, sont les trois secteurs les plus perçus comme étant au sommet des organismes corrompus ». Les pots de vins versés aux agents publics sont très fréquents et il est préférable de jouir de relations dans les institutions pour que les démarches ordinaires aboutissent. Les magouilles et autres affaires au plus haut sommet de l’État sont légion, tout comme elles trahissent l’emprise de gangs mafieux sur la puissance publique. La dernière en date a trait au très probable meurtre du gouverneur de la Banque Centrale de Madagascar, intervenu dans les eaux troubles des tractations liées à la cession de la Banque BNI Madagascar, la plus importante du pays, à un consortium mauricien, indien et malgache (Ciel, Bank One, Hiridjee). Le Crédit Agricole (établissement français), possesseur à 51% du capital de la banque a souhaité vendre ses parts. L’État malgache, qui est actionnaire à 34% du capital, se devait théoriquement de superviser cette transaction selon l’intérêt général, c'est-à-dire garantir que les organismes acquéreurs soient des banques de références. Or, il n’en fut rien puisque les candidats en lice ont placé la plupart de leurs fonds dans des paradis fiscaux, notamment aux Iles vierges britanniques. Hostile à ce projet qui a bel et bien fini par recevoir la bénédiction des hautes autorités, feu le gouverneur de la Banque Centrale, pourtant lui-même non irréprochable en matière de conflits d’intérêts, ne pourra plus exprimer son désaccord…

Administré par un Etat au seul service des intérêts privés, ce qui en fait d’ailleurs un parangon de la « gouvernance », Madagascar, qui regorge de ressources naturelles et minérales, est donc une proie sans défense que des clans mafieux installés aux plus hautes sphères du pouvoir livrent sans scrupules à la voracité des grandes compagnies étrangères. Ainsi, la Haute Autorité de Transition (HAT) a multiplié les concessions foncières aux Sociétés Transnationales, malgré la violation de la légalité que constituent de tels actes, puisque la HAT doit normalement se cantonner à la gestion des affaires courantes. D’ailleurs, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a tenu à s’offusquer, l’été dernier, de cet innommable scandale : « La plupart des sociétés transnationales installées à Madagascar ont obtenu leur permis d'exploitation soit par les putschistes, soit par le régime de transition. De ce fait, elles n'ont ni la légalité ni la légitimité d'opérer dans ce pays. De plus, ces permis ont été obtenus à la faveur d'une forte corruption des dirigeants politiques précités ».
La liste des méfaits est interminable. On pourrait évoquer le trafic de bois de rose, dont les clients principaux sont l’Europe et surtout la Chine, qui raye progressivement de la carte ce qui reste des forêts primaires et secondaires avec leurs espèces animales et végétales endémiques. On pourrait aussi mentionner l’expropriation des terres de milliers de petits paysans sans titres de propriété par des groupes tels que l’Indien VARUN Energy Corp qui se lance dans l’agribusiness. Mais le gros du magot, véritable trésor, se situe dans les sous-sols de l’île et au large de sa côte Ouest. Les produits actuellement exploités sont, entre autres, l’ilménite (premier producteur mondial), le nickel (2ème producteur mondial), lecharbon, le cobalt (2ème producteur mondial), le chrome, le graphite, le marbre, le granite, le mica, le cuivre, l’uranium, le  platine, l’or, le saphir (plus grand gisement du monde). Les produits sur le point d’être exploités sont : la bauxite, le fer, le pétrole, les terres rares, le vanadium, letantalum. Selon les estimations, les réserveshors pétrole des grandes mines malgaches seraient de plus de 300 milliards de dollars de chiffre d’affaire. En outre, ce qu’on peut qualifier d’assaut sur l’eldorado pétrolier malgache a débuté, les grandes majors occidentales et asiatiques (Total, Shell, Chevron, Petrochina…) annoncent régulièrement la découverte de nouveaux champs de forage. A l’heure actuelle, il existe une vingtaine de projets onshore (sur terre) et 8 projets offshore (en mer).
Évidemment, de tels chantiers n’occasionneront aucune retombée économique positive sur la population malgache. Bien au contraire, celle-ci subit déjà les lourds dégâts engendrés par ces entreprises. D’une part elle se voit spoliée de son patrimoine sans bénéficier d’aucune contrepartie financière. En effet, la fiscalité à laquelle sont soumises les transnationales opérant sur l’île est ridicule. Conséquente aux mesures de libéralisation imposées par la Banque Mondiale dans les années 1990, la réglementation en vigueur vient valider des contrats léonins entre l’État et les grandes compagnies puisque seul 1% des recettes est perçu sous forme de redevance par la puissance publique. La prévarication instituée en norme se chargeant du reste, les bourses des malgaches restent désespérément vides. D’autre part, ce sont de véritables exactions qui sont proférées par les industriels transnationaux, contre l’environnement et les autochtones. Les exemples ne manquent malheureusement pas : comme ce tarissement de l’eau et l’émanation de radioactivité aux alentours de la mine de Ranobe, exploitée par l’australienne Toliara Sands SARL et la chinoise Sichuan LomonTitanium, qui pourrissent la vie des riverains du projet. De même,ce qui n’est rien de moins que l’aspiration pure et simple des sols par la société DYNATEC, en vue d’extraire du cobalt et du nickel, entraîne déjà une catastrophe écologique locale. Quant à l’imminente exploitation des gisements pétroliers de Belomanga, de Tsimororopar une filiale du géant français TOTAL, elle ne départira pas de cette logique funeste. Il est ici prévu de puiser à court terme de « l’huile lourde », sans renoncer à l’avenir aux « sables bitumineux ». L’exploitation de ces deux formes de « pétrole non conventionnel », surtout de la seconde, est précédée d’une épouvantable réputation, en particulier dans la province d’Alberta au Canada où elle fut initiée. Les ravages écologique, sanitaire et climatique qu’elle provoque sur l’environnement naturel et humain (contamination de l’air, des sols et de l’eau, dévastation des paysages, multiplication des cancers dus à l’exposition à des substances toxiques, explosion urbaine, renchérissement de la vie, anéantissement des modes de vie traditionnels) ne sont plus à démontrer. 
Coresponsable de cette tragédie généralisée en cours, l’Etat n’appuie pas seulement le capital via une législation bienveillante alliée à une corruption systématique. Depuis fin 2012, il mène une opération militaire qui, sous prétexte de traquer des groupes de bandits, vise en réalité à évacuer par la force les campagnards d’une grande partie du Sud du pays, lesquels habitent à la surface d’un potentiel minier considérable ; une énorme manne dont plusieurs grandes compagnies voudraient s’emparer sans plus attendre. Des villages ont été attaqués à l’arme lourde, une vingtaine d’entre eux ont été brûlés, et des dizaines de morts sont à déplorer.
Morcellement du territoire à des fins de confiscation par des intérêts particuliers, appropriation privée de l’Etat, saccage de l’environnement naturel et humain, opacité des opérations et des transactions, sont les maîtres mots de l’actuel taillage en pièce du pays orchestré par les transnationales.