Extrait
Tout commence en 1977, avec la création du Syndicat des ouvriers de la terre (Sindicato de obreros del campo, SOC). Les habitants y adhèrent en masse. Un an plus tard, c’est la première occupation d’une grande propriété, la finca de Bocatinaja, d’où les syndicalistes seront expulsés. Puis l’élection d’un nouveau maire, le plus jeune de toute l’Espagne : M. Sánchez Gordillo, professeur d’histoire. Ses principes ? Lutter contre la misère, et donc contre ceux qui la génèrent : le système économique dominant et les propriétaires terriens toujours, les pouvoirs publics parfois. Il faut de la terre pour cultiver — de la terre qui soit propriété de la collectivité, et non d’un seigneur ; de la terre pour procurer du travail dans cette région essentiellement agricole.
Alors commence la longue route vers l’appropriation publique des terres privées, avec grèves de la faim, occupations suivies d’expulsions manu militari par la Guardia Civil. Enfin, en 1991, la Junta de Andalucía, le gouvernement de la communauté autonome d’Andalousie, procède à l’expropriation de mille deux cents hectares de la finca del Humoso, propriété du duc del Infantado (4), et met les terres à disposition de la municipalité de Marinaleda.
Ainsi se concrétise le vieux rêve de « la terre à celui qui la travaille ». En même temps prend fin le chômage endémique, tandis que l’émigration peut se tarir. La plantation d’oliviers, la culture de piments, d’artichauts et de fèves démarrent. Pour subvenir aux besoins de la population, ces productions seront industrialisées, à partir de 1999, à travers une conserverie — coopérative, bien entendu. Chaque travailleur reçoit un salaire identique, quels que soient son poste et ses responsabilités : aujourd’hui, 47 euros par jour, six jours sur sept, soit 1 128 euros par mois à plein temps (le salaire minimum interprofessionnel s’élève à 645 euros).
Pour que le droit au logement que garantit la Constitution espagnole ne reste pas lettre morte, un programme est lancé dans ce domaine, avec pour règle l’autoconstruction. Chacun participe selon ses compétences. La mairie offre le terrain et rémunère l’architecte ; les matériaux sont fournis conjointement par la municipalité, qui peut utiliser les fonds publics du plan d’emploi rural (PER) (5), et par la Junta de Andalucía. L’attribution se fait lors d’une assemblée publique qui réunit tous les citoyens. Actuellement, on compte plus de trois cent cinquante maisons ainsi construites, d’une surface utile de quatre-vingt-dix mètres carrés, avec cent mètres carrés de patio pour permettre un agrandissement futur. Le loyer s’élève à 15 euros par mois, alors qu’il faudrait en débourser 300 au prix du marché. Le logement ne peut être vendu, mais il est cessible aux enfants.